La rue, (mon) grand malaise

Article publié dans Les News Colibri n° 38

Pourquoi ce malaise ? En passant devant les « habitants de la rue », à part les 3-4 exceptions avec lesquels j'ai des habitudes d'échanges, avec ou sans pièce à la clef, je ne peux m'empêcher de me sentir dans un état de supériorité, avec tout ce que cela peut générer.

Supériorité ? C'est quoi ce sentiment ?! Non, c'est la culpabilité qui est en œuvre.

D'ailleurs, quand j'ai le courage d'entamer un dialogue avec ce pôôôvre habitant de la rue, je tombe presque toujours de haut. La vie dans la rue, pour ses habitants permanents, est une vraie vie.

Vie qui, à mes yeux, devrait avoir la même valeur, le même sens, intérêt que la mienne et celle des gens de mon cercle social. Mais je n'y arrive pas tout en saluant le courage, l'inventivité, la dignité en œuvre dans ces tentes, ces coins de porte, ces trottoirs.

Mon cœur se serre les soirs de grand froid, mais je n'ouvre pas ma porte. Je refuse ces déclarations qui les mettent tous dans le même sac :

– ils gagnent en une journée plus que moi en une semaine.

– L'essentiel c'est de les saluer, de leur dire quelques mots.

– Ce sont des gens qui pourraient travailler. Ils profitent.

Je sais qu'ils ont peur la nuit. Je sais que leur agressivité cède (enfin pas toujours) à la parole qui s'intéresse.

Je respecte leur besoin de boire, de fumer. Et j'admire leur résistance à la boisson parce que « si je bois, je suis fichu » . Tous mes états d'âme sont des réactions de nantie, de quelqu'un qui n'a jamais été obligée d'être à la rue, le jour, la nuit.

Mais qui milite pour le droit au logement, ce logement sans lequel on ne peut rien, ou si peu, sans lequel on n'est rien, ou si peu. Nous nous sommes engagés dans le logement social : voici 4-6 afghans qui ont eu un toit, et nous, un loyer..... certes « inférieur au prix du marché » mais un loyer quand même. Et alors ? Qu'est ce ça change au moment où je croise leurs regards ?

Sylvie GRUCKER